Ce n'est pas la première fois que vous la voyez.
Vendredi (jamais les autres jours). Milieu de journée (jamais le matin, jamais le soir). La scène va durer quelques minutes (jamais plus). Elle est accoudée au comptoir devant un café serré. Elle scrute la rue à travers la baie vitrée.
Manifestement, elle n'est pas du quartier. De loin, on dirait une comédienne échappée d'un film de Truffaut. Ses cheveux blonds qui viennent coiffer un imperméable beige lui font une beauté un peu désuète. Elle est assez jeune pourtant.
Vous avez pris l'habitude vous aussi de boire votre café au comptoir pour la voir de plus près. Elle est légèrement cernée. Un petit sourire de contenance sur les lèvres. Quelques signes qui semblent suggérer l'envers du décor. La beauté d'un cliché qui s'ébrèche à mesure qu'on le fixe.
évidemment, vous n'avez jamais osé l'aborder. Dans quelques minutes, elle va déposer une pièce à côté de la tasse vide et disparaître d'un pas pressé. Vous ne pouvez pas vous résoudre à la suivre dans la rue.
L'autre jour, vous avez demandé au patron ce qu'il savait d'elle.
- Elle l'attend, a-t-il déclaré sur le ton de l'évidence.
- Elle attend qui ?
Il a haussé les épaules :
- Peut-être vous ?
Vous n'étiez pas plus avancé. Vous avez eu envie de connaître son prénom. Au moins ça. Comme de mettre un visage sur une voix.
- Qu'est-ce que j'en sais, moi ? a marmonné le patron. Ici, on l'appelle la fille de l'après-midi'